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4 janvier 2013 5 04 /01 /janvier /2013 19:05

A l’occasion de l’affaire Nirbhaya

La France face à l’Inde, un choc d’identité face au nouveau monde

Par Jean-Joseph Boillot*

* derniers ouvrages parus : « KAL, un abécédaire de l’Inde moderne », Buchet Chastel 2011, et « Chindiafrique, la Chine, l’Inde et l’Europe feront le monde de demain », éditions Odile Jacob, janvier 2013

 

Je viens de recevoir une lettre émouvante de mon amie Padma de New Delhi à propos du viol et de l’assassinat de cette jeune Nirbhaya (en hindi « Sans peur »). « Tout ce que je lis dans la presse française et les commentaires m'attristent et m'enragent. Tous les clichés qui sortent sont odieux. Nous avons tous très, très honte en Inde, même d’être Indiens, mais en même temps nous sommes très fiers de la révolte populaire qui en a découlé et qui continue depuis presque deux semaines maintenant. Je suis personnellement très fière de faire partie de cette révolte. Moi aussi je manifeste avec tant d'autres. Cet horrible événement à été la dernière goutte et le vase déborde. Beaucoup de colère, beaucoup de peur, beaucoup de déception vis-à-vis du gouvernement, des autorités, de la police, de la justice, bref de tout. L'énorme ras-le-bol et la jeune génération prend les devants. C'est rassurant. »

 

Mais quelle mouche a en effet piquée nos médias, à l'occasion il est vrai de la pause de fin d’année des rédactions ? Car tous les jours, les viols et assassinats de femmes salissent odieusement la planète, jusque dans nos pays où les sites pornographiques confinent parfois à la zoomachie collective.

 

Il y a certes une équation indienne, mais complexe. Dans le cas de cette jeune étudiante de médecine, il y a la conjugaison d'une mentalité patriarcale traditionnelle profondément enracinée –même si d’autres régions sont plutôt de tradition matriarcale- et d’un déracinement plutôt moderne de jeunes hommes ruraux qui migrent en masse vers les énormes mégalopoles comme Delhi qui comptera pas loin de 40 millions d'habitants d'ici 2020.

 

Mais il y a aussi une double équation française, vis-à-vis de l'Inde d'abord, et plus généralement vis-à-vis du Nouveau Monde qui émerge, Chine, Inde et cette Afrique dont nous avons été encore abreuvée des seules mauvaises nouvelles pendant cette pause du nouvel an.

 

Vis-à-vis de l'Inde, reconnaissons qu'au-delà du mythe de Gandhi, notre tribu archeo-impériale est moins séduite par l’Inde que par l'ordre chinois et ses prouesses de train à vitesse rapide à faire pâlir d'envie une Europe des TGV. Il faut dire que nos SNCF respectives ont bien du mal à la promouvoir en raison des rivalités nationales (le moment où l’on dira « ethniques » n’est peut-être plus très loin).

 

Qu'est-ce qui nous sépare donc de l'Inde pour que l'affaire Mittal apparaisse encore largement au débit des relations franco-indiennes ? Il y a probablement des racines culturelles profondes comme un monde de spiritualité au sens large face à une laïcité (négative) devenue religion d'État.

 

Il y a aussi cette opposition majeure entre une philosophie non dualiste et holistique, et le cartésianisme à la séparation tranchée des hémisphères droite et gauche du cerveau, entre Pasteur et le Yoga et l’Ayurveda pour faire simple.

 

Il y a également une vision du changement social révolutionnaire et très étatique chez les Français, alors qu'il se veut plus graduel et sociétal dans un monde indien, faut-il le rappeler, beaucoup plus vaste et communautaire -et pas seulement de castes comme le voudrait l’image d’Epinal de l’Inde en France.

 

Il y a bien dans les deux mondes un même esprit de révolte et de rébellion, mais qui a produit en Inde le bouddhisme et le gandhisme pacifique et de compassion, vu par les Gaulois comme un signe de fatalisme et de résignation quand la potion magique sert à éliminer physiquement ses ennemis.

 

Mais au-delà de ces fractures bien réelles, qu'il nous faudrait apprendre à comprendre et à respecter, il y a indéniablement une équation française dans le traitement du viol de cette jeune indienne. C'est à mon sens celle du doute croissant de notre société à rayonner dans le monde, voire tout simplement en Europe, cette tentation du repli sur soi qui s’installe au centre et de la démondialisation si populaire aux extrêmes de droite comme de gauche. Comment expliquer autrement notre regard unilatéral sur ce crime odieux de New Delhi. Comme le dit si bien Amin Maalouf dans « Les identités meurtrières », nous sommes en train de construire une identité de crise, de l’entre-soi, au moment même où des géants comme l'Inde, mais aussi l'Afrique rejoignent la Chine sur l'orbite des géants du XXIe siècle.

 

Quel espoir va-t-on donner à notre jeunesse, nous qui nous voulons la patrie historique de l'universalisme, si nous la coupons ainsi des passerelles culturelles pour comprendre et aimer les géants économiques de demain ? Car comme le dit Lao Tseu : « Quand on a réglé un grand différend, il reste toujours quelques griefs, Et la paix ne peut être rétablie que par la bonté. » Pour comprendre l’Inde et son millefeuille, pour répondre au défi aussi bien économique que géopolitique de cette masse qui pèsera autant que la Chine et l’Afrique en 2030, il nous faut apprendre à la regarder autrement. Comme le disait Gandhi : « « Vis comme si tu devais mourir demain. Apprends comme si tu devais vivre toujours ».

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