La résurgence de la dengue en Inde et dans sa capitale, New Delhi, souligne les carences du système de surveillance du pays, susceptible d'endiguer la propagation de la maladie. D'après les autorités indiennes, 33 246 cas – dont 201 se sont soldés par des décès – ont déjà été recensés en 2012, soit près du double qu'en 2011. Mais en réalité, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le nombre de personnes infectées par le virus pourrait être mille fois supérieur.
La dengue, qui se transmet par les moustiques, se manifeste par de la fatigue ou une forte fièvre et peut conduire à des décès dans 1 % à 2 % des cas. Il n'existe aucun vaccin véritablement efficace. "L'augmentation du nombre de cas recensés est en partie liée à une meilleure distribution de kits de détection", temporise le docteur Dhariwal, directeur du programme de contrôle national des maladies à transmission vectorielle.
Le programme de surveillance – très partiel – lancé par la Banque mondiale en 2005, en partenariat avec l'Etat indien, a néanmoins montré qu'en 2009, les cas de dengue représentaient 7,8 % des flambées épidémiques, juste derrière le paludisme et les fièvres diarrhéiques.
"3 500 AGENTS FONT DU PORTE-À-PORTE"
C'est surtout dans les grandes métropoles densément peuplées que se trouve le foyer endémique de la dengue. Il s'étend ensuite vers les villes secondaires. A New Delhi, qui concentre près du quart des cas du pays, la maladie frappe surtout les quartiers cossus. A la différence du paludisme, les moustiques vecteurs de la dengue ne se reproduisent pas dans les eaux stagnantes et sales des bidonvilles, mais dans les nombreux réservoirs d'eau non recouverts et raccordés aux habitations, les pots de fleurs ou encore les climatiseurs. "Nous avons déployé 3 500 agents qui font du porte-à-porte pour sensibiliser la population à la propagation de la maladie et vérifier que leurs habitations n'abritent pas de foyers d'insectes", explique le docteur Yadav, responsable de la santé publique à la municipalité de Delhi.
Les autorités municipales ont délivré 8 900 contraventions à ceux qui n'avaient pas éliminé les nids de moustiques à leur domicile, mais le montant de l'amende (8 euros) reste peu dissuasif. Le porte-à-porte dans une ville qui compte 5 millions de foyers, alors que l'épidémie n'a besoin que de quelques semaines à la fin de la mousson pour se propager, relève quasiment de la mission impossible.
En l'absence de système de surveillance ad hoc, les autorités sanitaires sont incapables de concentrer leurs actions de prévention et de traitement de la maladie. "La politique de santé publique repose encore sur des programmes hérités des colons britanniques qui devaient lutter contre la peste ou le choléra", observe Olivier Telle, chercheur, basé à New Delhi, de l'Institut Pasteur.
LA MALADIE POURRAIT FAIRE SON APPARITION EN FRANCE
Près des deux tiers de la population vivent ainsi dans des régions où les informations sanitaires font cruellement défaut. Du coup, leurs habitants ne savent ni prévenir ni traiter la maladie. Ils reçoivent aussi moins de fonds du gouvernement, dont les subventions sont distribuées – en partie – en fonction du nombre de cas recensés dans chaque Etat.
L'Inde souffre également d'un problème de gouvernance au niveau local. "A New Delhi, les autorités s'appuient beaucoup sur les associations de résidents pour éradiquer les foyers de moustiques alors que ces derniers sont plus nombreux dans les lieux publics comme les hôpitaux, les jardins ou encore les gares", explique Olivier Telle.
Si rien n'est fait pour contenir l'endémie, le réchauffement pourrait aggraver la situation au cours des années à venir. "La famille des moustiques Aedes qui transmet la dengue est très sensible aux variations climatiques. Des études montrent que le réchauffement pourrait exposer 2 milliards d'habitants supplémentaires à la transmission de la dengue d'ici à 2080", estime l'OMS dans son rapport intitulé "Changement climatique et santé" et publié en octobre 2012.
La maladie pourrait aussi faire son apparition dans des pays de la zone tempérée comme en France, où Aedes est déjà présent dans la région parisienne et dans le Sud-Est. Entre 2006 et 2011, sur les 1 200 personnes touchées par la dengue en Europe, 30 % avaient été contaminées en Inde, selon la veille sanitaire européenne.
Plusieurs organisations internationales et l'Union européenne ont d'ores et déjà commencé à mener des études dans les pays touchés pour mieux comprendre la progression de la maladie. L'Institut Pasteur va, lui, coordonner dès 2013 des études épidémiologiques en Inde, en Thaïlande et au Cambodge, associant des virologues et des immunologues, mais aussi des géographes.